A l’occasion de la semaine des Océans Nathalie Hilmi, responsable de la section d’économie environnementale du Centre Scientifique de Monaco (CSM), avait co-organisé avec Costanza Favivili, secrétaire exécutive du Sanctuaire Pelagos pour la protection des Mammifères marins en Méditerranée, un colloque sur les défis socio-écologiques et le rôle des AMP, les Aires Marines Protégées, et des sanctuaires marins. L’occasion d’aborder les aspects économiques et politiques du problème.
Cet évènement a permis d’expliquer comment les sanctuaires marins et les AMP contribuent à la protection des écosystèmes marins, côtiers et du large, sur lesquels repose de facto l’avenir de notre société, dans la perspective d’un développement socialement, économiquement et environnementalement durable.
« Les Aires Marines Protégées font référence à un mécanisme de gouvernance particulier pour gérer des zones maritimes spécifiques définies afin de maintenir ou d’améliorer la conservation écologique et la biodiversité, ainsi que de limiter l’impact des activités humaines dans ces zones. Elles sont l’un des nombreux mécanismes de gouvernance possibles pour l’économie bleue, laquelle comprend l’ensemble des activités économiques et des contributions écologiques qui peuvent être obtenues à partir des zones maritimes », explique Nathalie Hilmi. L’une des principales contributions écologiques est appelée «carbone bleu», autrement dit la capacité des zones maritimes à absorber et à stocker le dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique. Cependant, toute solution de séquestration du carbone basée sur la nature – et le carbone bleu ne fait pas exception – doit établir un lien entre les services écologiques fournis par un écosystème et les incitations économiques à sa conservation. Or chacun sait que les zones marines offrent un potentiel économique important, fut-ce au prix d’une détérioration accrue de leurs écosystèmes fragiles.
Canaliser les fonds vers la préservation et la restauration écologiques
« Dès lors, leur simple préservation en tant qu’écosystème fonctionnel s’accompagne donc de coûts d’opportunité importants, c’est-à-dire des coûts liés au maintien et à la non-exploitation de leur plein potentiel économique. De même, dans la mesure où il est possible d’améliorer la capacité des zones marines à absorber le CO2, cela nécessitera des investissements importants et le développement de nouvelles technologies, tous deux nécessitant des fonds supplémentaires. Pour l’instant, cependant, la sphère économique et la sphère écologique ne sont pas totalement intégrées, ce qui crée des frictions importantes dans la canalisation des fonds vers la préservation et la restauration écologiques », poursuit l’économiste du CSM.
« Les AMP soulignent la valeur d’une nature vivante et dynamique et, en particulier, d’un océan vivant et prospère. Alors que les connaissances scientifiques sur les avantages des AMP sont connues, et que de nouvelles découvertes ont lieu chaque jour, le système économique actuel continue à ignorer la valeur des AMP pour notre santé et notre bien-être économique, et plus largement la valeur d’un océan vivant. Cela signifie que les fonds continuent d’affluer vers des activités extractives qui portent gravement atteinte à l’océan et à ses habitants et qui, en fin de compte, représentent un risque existentiel pour l’humanité », insiste Nathalie Hilmi qui développe sa pensée : « En valorisant les services écosystémiques d’un océan vivant, nous pouvons créer des marchés favorables à la nature et aux océans. Pour ce faire, nous avons également besoin d’une action politique autour de la protection de la nature et de l’océan. Cela fournira aux marchés les incitations nécessaires pour créer des services autour de la protection, de la restauration et de la régénération de la vie océanique. »
L’action politique
Autre facteur : l’action politique. « La combinaison des AMP avec une action politique – qui fournit la structure juridique pour sauvegarder la vie dans l’océan – et avec l’évaluation par le marché des services écosystémiques océaniques conduira à une nouvelle classe d’actifs autour de laquelle les marchés pourront créer des services. Ensemble, l’action politique, l’évaluation et les incitations du marché garantiront que tous les agents économiques « endogénéisent » le coût de leurs actions susceptibles de nuire à la nature, tout en récompensant les actions qui protègent et restaurent la nature par des rendements plus élevés sur les marchés, tout en assurant une prospérité plus durable et partagée aux gardiens de l’océan : les populations locales et autochtones », affirme Nathalie Hilmi.
L’initiative Blue Boat au Chili
Divers projets travaillent autour de ce thème, tels que des pilotes et des incubateurs pouvant être exportés dans le monde entier. Et l’économiste fournit à titre d’exemple, l’initiative Blue Boat. Il s’agit d’un projet national du gouvernement chilien, mis en œuvre dans le nord de la Patagonie, avec la collaboration de multiples institutions, de la National Oceanic and Atmospheric Administration à l’Université polytechnique de Madrid. Elle explique : « Depuis 2019, la Fundación MERI développe The Blue Boat Initiative, un projet national développé en collaboration avec le ministère de l’Environnement qui vise à conserver et protéger les baleines tout en surveillant les océans, en étudiant et en valorisant les services écosystémiques marins, notamment ceux associés au rôle des baleines dans la capture du CO2, nécessaire pour faire face au changement climatique. À cette fin, le premier réseau de « sonobouées » intelligentes d’Amérique du Sud sera installé et connecté, capable de détecter les baleines en temps réel et d’avertir les navires pour éviter les collisions, tout en surveillant l’impact du changement climatique dans les océans. Ce projet de technologie de pointe a des partenaires nationaux et internationaux et cherche à influencer les politiques publiques pour parvenir à une conservation efficace des baleines, en intégrant les secteurs public et privé et l’économie de l’environnement comme éléments essentiels d’un développement durable qui peut également mettre en évidence le rôle des baleines et de l’océan dans l’atténuation du changement climatique. » Un projet qui a évidemment vocation à servir de modèle.
Noël METTEY et Nathalie HILMI